La Troisième guerre mondiale a déjà eu lieu

LucieGravelPaulines

Lucie Gravel, de la librairie Paulines, présentant M. Blouin et Mme Langlois

Jeudi le 22 janvier dernier, la journaliste Sophie Langlois et le photographe Normand Blouin étaient à la librairie Paulines Montréal pour discuter de leur livre Lumières d’Afrique et de ce qu’ils ont vécu sur le continent africain.

En 2007, le couple s’est établi à Dakar, au Sénégal. Ce que Sophie Langlois a remarqué en premier, ce sont les odeurs. Elle explique qu’« il y a toujours des ordures en train de brûler quelque part », mais que l’on peut également sentir l’air de l’océan ainsi que les bougainvilliers.

Quant à Normand Blouin, il a été marqué par leur première visite à la plage. « La première chose que j’ai vue, c’étaient des milliers de jeunes hommes […] qui faisaient de l’exercice, » dit-il, expliquant que l’entraînement physique est très à la mode à Dakar. Tous les jours, les jeunes hommes de la ville se rejoignent sur la plage pour s’entraîner. Le sport le plus populaire est la lutte. Le photographe compare l’intérêt des Sénégalais pour la lutte à celui des Québécois pour le hockey, expliquant que les lutteurs connus sont des vedettes et que beaucoup de jeunes hommes rêvent de rejoindre un jour le circuit professionnel.LumieresdAfriqueLivre

Il explique qu’il a dû se lier d’amitié avec les sportifs pour obtenir des photographies. En effet, très fiers, les Sénégalais « détestent se faire photographier lorsqu’ils ne portent pas leurs plus beaux habits », raconte-t-il.

En deux ans de vie à Dakar, le photographe et la journaliste ont eu le temps d’observer plus en détails la vie de tous les jours des Dakarois, mais aussi des habitants des villes et villages (au Sénégal, mais aussi au Niger, au Congo, etc.) où ils se rendaient dans le cadre de leurs travails respectifs. Aux nouvelles, lorsqu’on parle de l’Afrique, le sujet mit de l’avant est souvent la pauvreté ou un conflit armé. « C’est important de se rappeler que la plupart des Africains vivent en paix, sans souffrir du matin au soir. Il faut briser les mentalités voulant que l’Afrique soit un trou noir où on investit sans fond, » a déclaré Sophie Langlois dans une entrevue accordée à Samuel Larochelle du Huffington Post. Avec Lumières d’Afrique, son conjoint et elle ont voulu apporter une vision plus complète de l’Afrique. Les tragédies que l’on voit aux nouvelles y sont présentes, mais les beautés de l’Afrique aussi.

Selon Sophie Langlois, nous aurions beaucoup à apprendre des habitants de Dakar concernant, entre autres, les relations entre communautés religieuses. « Je trouvais SLangloisAfriqueça remarquable comment les catholiques et les musulmans vivaient bien ensemble, » dit-elle. La population, pourtant musulmane à 90 %, célèbre aussi bien Noël que les fêtes de l’Islam.

M. Blouin est fasciné par à l’importance de la religion dans la société africaine. « Ils sont un peu comme nous on était il y a cinquante ans, quand tout le monde allait à la messe, » dit-il. « C’est écrit « à la gloire de Dieu » sur tous les autobus. » Il raconte même qu’à force d’entendre «Inch Allah», il a fini par adopter l’expression. Il montre à la salle des photos d’une mosquée à ciel ouvert où l’on voit des milliers de priants.

La piété et l’ouverture aux autres religions dont témoignent les Sénégalais ne sont pas les seules choset à avoir impressionné Sophie Langlois et Normand Blouin : ils ont été éblouis par la fierté, la dignité et la joie de vivre de la population. Au sujet d’un village pourtant AssistancePaulinesparticulièrement pauvre, Sophie Langlois affirme : « On ne voit que des gens qui sont heureux d’y vivre. »

Cette fierté, cette dignité et cette joie de vivre étaient présentes chez la majorité des Africains que la journaliste et le photographe ont eu la chance de rencontrer dans les différents pays où ils ont été appelés à faire des reportages, et ce même dans les villes-dépotoirs. Mme Langlois explique que de nombreuses familles vivent des dépotoirs, passant leurs journées à recueillir des objets encore utilisables ou à assembler des pièces détachées trouvées à même les montagnes d’ordures. Elle raconte comment elle s’est d’abord étonnée de rencontrer des gens si fiers et si heureux de faire de l’argent grâce aux décharges. « J’ai toujours essayé d’avoir du respect, de les montrer beaux, » ajoute Normand Blouin, montrant des images d’une famille ramassant des morceaux de poupées.

SophieLanglois

Sophie Langlois

Même dans les situations les plus difficiles, il y a toujours quelqu’un pour garder espoir et pour se battre pour faire avancer la société. Ce sont ces personnes qui ont laissé la plus forte impression à la journaliste Sophie Langlois. On sent, quand elle en parle, son admiration pour ces modèles de résilience et de persévérence qu’elle a rencontrés.

En République du Congo, les conditions de vie sont très dures et le viol très fréquent. « C’est presque devenu pour les jeunes hommes une façon de se glorifier, de se valoriser, de parler des femmes qu’ils ont violées, » dit Mme Langlois. « « Une vache vaut plus cher qu’une femme, au Congo », me disait [mon guide]. » Les femmes victimes de viol sont rares à porter plainte : c’est une démarche longue et difficile, et c’est souvent perçu négativement par leur famille. Autant de raisons, pour Mme Langlois, d’admirer encore plus les rares femmes qui décident malgré tout d’aller devant les tribunaux.

Au Niger, il est difficile d’obtenir des subventions et du soutien pour réaliser des films documentaires. Pourtant, Moussa, le guide de Sophie Langlois lors de ses séjours au Niger, persévère. Il réalise des films LumieresdAfriqueportant sur des sujets difficiles afin de faire changer les mentalités. Exemple : la fistule (lésion entre le vagin et la vessie, ou, plus rarement, entre le vagin et le rectum). En effet, au Niger, les femmes souffrant de fistule obstétricale sont nombreuses. Malheureusement, puisqu’elles ne peuvent contrôler l’écoulement de leur urine, elles sentent mauvais et sont souvent rejetées, ostracisées par leurs proches et par la société.

Malheureusement, on entend rarement parler de ces problématiques au Canada. Correspondante de Radio-Canada en Afrique basée au Sénégal entre 2007 et 2009, Sophie Langlois a ensuite vu son poste rapatrié à Montréal, pour finalement être aboli. Alors que son poste existait encore, il était déjà difficile pour elle de faire diffuser ses reportages. « Sophie se battait constamment au téléphone avec ses collègues pour faire passer […] ses topos, » se souvient Normand Blouin. Aujourd’hui, un seul média canadien a encore un correspondant en Afrique (The Globe and Mail). « Le lendemain de l’attaque de Charlie Hebdo, il y a eu 2000 morts au Nigéria, ça a pris deux semaines avant qu’on en parle, »PhotosBlouin dit Sophie Langlois, se désolant du manque d’intérêt des médias canadiens pour les nouvelles africaines. « La Troisième guerre mondiale, pour les Africains, elle a déjà eu lieu, au Congo. […] 5 millions de morts, sept pays impliqués [et] c’est à peine si on en a entendu parler. » Pendant de la période de questions, un homme originaire du Congo s’interroge sur ce que l’on peut faire pour changer cette situation. « Moi non plus, je ne sais pas ce qu’on peut faire, » lui répond Sophie Langlois. « Il y a eu une époque où la couverture internationale était importante pour les médias, pour les grands journaux, » se souvient Normand Blouin, qui souligne que l’Afrique demeure présente dans les médias européens, surtout de la part des pays ayant d’anciennes colonies en Afrique (ex. : les médias belges couvrent souvent le Congo).

NormandBlouin

Normand Blouin

À quand, donc, une meilleure couverture de l’Afrique par les médias canadiens? Ce n’est plus du côté des médias traditionnels que Sophie Langlois place ses espoirs, mais bien du côté des jeunes. Elle entend régulièrement parler d’adolescents et de jeunes adultes qui vont passer quelques jours ou quelques semaines en Afrique. Inévitablement, ils en reviennent changés. Un séjour en Afrique, si court soit-il, permet de rencontrer des gens inspirants, de s’ouvrir à de nouvelles cultures et de réaliser non seulement quelles situations difficiles vivent les Africains, mais également de quelles choses extraordinaires ils sont capables.

De retour d’Afrique, on apprend à mettre les choses en perspective. Comme le dit Sophie Langlois, nous avons beaucoup de problèmes dans la vie, mais on peut toujours se dire : « Oui, mais nous, on n’a pas à s’inquiéter qu’une fillette de douze ans se fasse exploser dans la cour d’école de notre fils demain matin. » Elle songe à Moussa, son EtalageLumieresdAfriqueguide au Niger, qui continue à faire ses films. Elle songe aux Congolaises qui portent plaintes pour viol. Elle se remémore l’histoire d’un enseignant qui fait le tour de son village, chaque matin, pour s’assurer que les enfants soient bien envoyés à l’école par leurs parents. Quant elle pense à ces Africains, elle ne se sent pas le droit de perdre espoir. Si eux, qui vivent dans des conditions si difficiles, continuent à croire en l’avenir, comment pourrait-elle ne pas à croire?

À propos de emerancega

J'ai 25 ans, une collection de cubes Rubik et un amour inconditionnel pour la littérature.
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