
Priscille Deborah
Mère de deux filles, amoureuse de son compagnon, de son art, la peinture, et de la vie en général, Priscille Deborah est rayonnante de bonheur. On a peine à s’imaginer ce qui l’a poussée, un matin, il y a huit ans, à se jeter sous une rame de métro à Paris. Dans son livre Tout pour être heureuse, écrit en collaboration avec Julia Pavlowitch-Beck, l’artiste peintre revisite ce qui l’a menée à la dépression, mais aussi ce qui lui a permis, plus tard, de trouver le bonheur. Le 8 avril dernier, Mme Deborah était à la librairie Paulines de Montréal pour une conférence suivie d’une période de questions animée par l’écrivaine québécoise Marilou Brousseau.
Priscille Deborah n’avait que douze ans quand son petit frère est décédé. « Dans la famille, fallait pas en parler, » explique-t-elle, se souvenant comment elle a vécu, en silence, sa culpabilité de survivante. « Comment vous donner le droit d’exister quand votre petit frère de neuf ans meurt d’une maladie incurable ? » Devenue la seule enfant de la famille, a vu les tous les rêves de réussite de ses parents projetés sur elle, et elle s’est efforcée de les accomplir. À trente ans, elle avait un mari, un adorable bébé, Zoé, et un travail dans le domaine de la production cinématographique. Seulement, elle était malheureuse.
Après un congé de maternité, en pleine dépression post-partum, elle a tenté de reprendre le rythme de son travail, mais elle a été rattrapée par le stress et les idées noires. « On se sent mal, on se sent vide, on se sent creux, » explique-t-elle. Elle travaillait peu, s’occupait peu de sa fille et s’éloignait de ses amis. Pendant deux ans, elle est allée de psychiatre en psychiatre, faisant même quelques séjours en maison psychiatrique. « Je me suis déconnectée de mes émotions, de ma spontanéité, je suis devenue une personne qui n’était pas moi, » dit-elle. Un matin, après avoir laissé la jeune Zoé à la garderie, Priscille Deborah s’est jetée sous une rame de métro. «J’étais emprisonnée dans quelque chose qui n’était pas moi et qui a éclaté. »
La jeune mère s’est réveillée sur un lit d’hôpital, amputée des deux jambes et d’un bras. « J’en voulais un peu à la terre entière de m’avoir secourue, » se souvient-elle. À sa dépression profonde se rajoutait la détresse d’avoir perdu trois membres. Après avoir passé un certain temps aux services orthopédiques de l’hôpital, Priscille Deborah a été transférée aux services psychiatriques. Elle avait perdu ses jambes et son bras, mais gagné la chance de réapprendre à vivre, de renaître. « [J’ai vu] une fille […] amputée des deux jambes discuter avec une autre. Elles rigolaient, se racontaient des blagues, elles étaient rayonnantes. Ce moment-là a été un déclic, je me suis dit “je peux devenir comme elles”», a-t-elle d’ailleurs affirmé dans une entrevue accordée à France 2 en février dernier.
En effet, c’est aux rencontres que Priscille Deborah a faites lors de sa convalescence qu’elle attribue sa sortie de la dépression. Impressionnée par le désir de vivre des gens qui l’entouraient à l’hôpital, elle a appris à dissocier sa dépression de son handicap et elle s’est concentrée sur sa rééducation. « C’est le moment où on passe de la dépression au moment où on choisit autre chose, » souligne Marilou Brousseau. Après avoir aquiescé, Priscille Deborah s’exclame : « J’ai réappris à marcher en trois mois, les médecins ils y croyaient pas! »
À son retour de l’hôpital, elle a décidé de son consacrer à la peinture. « J’ai toujours peint, depuis l’âge de huit ans, » dit-elle. « Enfant, je peignais avec mon frère. » Elle décrit son art (voir son site Internet) comme de l’expressionnisme sensualiste, car elle met la sphère rationnelle complètement de côté pour exprimer des émotions et des sensations. Elle s’intéresse tout particulièrement aux corps, aux visages et aux émotions qui accompagnent le geste de peindre. Elle travaille toujours sur six ou sept tableaux de front, travaillant sur l’un, revenant à un autre, grattant parfois la peinture pour révéler des traits recouverts. Souvent, elle retourne la toile sur laquelle elle est en train de travailler pour y voir autre chose. « C’est un peu comme une méditation, finalement, » fait remarquer Marilou Brousseau. En effet, Priscille Deborah voit la peinture comme une manière de s’isoler pour se ressourcer, mais aussi comme une manière de partager avec les autres ses émotions. Elle compare sa démarche à de l’art-thérapie.
Sa carrière d’artiste peintre prenant son envol, Priscille Deborah a conçu l’idée d’exposer à New York. Une fondation aidant les personnes handicapées à réaliser leurs projets de vie lui a donné du budget pour passer 15 jours dans la ville qui ne dort jamais. Avec une amie assistante de galerie, Priscille Deborah a identifié une centaine de galeries new-yorkaises pouvant être intéressées par ses œuvres, puis elle a cogné au plus de portes possible jusqu’à ce que l’on accepte de l’exposer. Grâce à cette visibilité à l’international, tout s’est enchaîné : elle a exposé à Berlin, est passée à la télé et a été contactée par de nombreuses galeries et même quelques éditeurs. Elle explique que quand on irradie le bonheur, les gens nous proposent toutes sortes de projets. Elle a d’ailleurs encouragé l’assistance à prendre les moyens pour réaliser ses rêves dès que possible. « On n’a qu’une vie, alors si on ne réalise pas nos rêves maintenant, on va les réaliser quand ? » Elle souligne qu’il faut avoir l’audace de cogner à toutes les portes. « C’est précieux, parce que si l’on n’a pas vraiment d’audace, on ne va pas vraiment loin, » ajoute Marilou Brosseau.
Priscille Deborah attribue en partie son audace à son handicap. « Le regard de l’autre, c’est un peu ce qui m’a perdue dans ma première vie. […] En tant que personne handicapée […] on n’est obligé de dépasser [ce regard]. » Elle affirme qu’elle est devenue beaucoup plus sûre d’elle une fois handicapée. « J’ai réussi à séduire des hommes [qu’auparavant] je n’aurais jamais imaginé [aborder], » dit-elle en riant. C’est d’ailleurs grâce à son handicap qu’elle a rencontré son conjoint actuel, Frédéric. En effet, ils ont fait connaissance lors d’une compétition sportive pour handicapés. Ils ont eu ensemble une fille Suzanne. Malgré les appréhensions de son psychiatre pendant sa grossesse, Priscille Deborah n’a jamais craint une seconde dépression post-partum. Elle explique que son expérience de vie fait d’elle une personne heureuse et une bien meilleure mère. Elle s’est d’ailleurs beaucoup rapprochée de son aînée, Zoé, car elle sent maintenant qu’elle a une joie de vivre ainsi que des valeurs à lui transmettre.
Lorsqu’on lui demande si elle regrette parfois de ne pouvoir patiner ou faire du ski, elle explique qu’elle croit qu’il faut se concentrer sur ce que l’on peut faire et ce que l’on aime faire plutôt que ce que le handicap empêche de faire. Elle raconte qu’elle a réalisé rapidement que sa carrière de peintre et sa famille occupent tout son temps, et qu’ainsi, même si elle avait la capacité physique de courir ou de danser, elle n’en aurait pas le temps.
Quand on lui a proposé d’écrire son histoire, Priscille Deborah y a vu une occasion de prolonger sa psychanalyse de façon à « vraiment tourner la page ». Elle voulait également transmettre au monde qui l’entoure sa recette du bonheur. Son éditeur lui a présenté Julia Pavlowitch-Beck, avec qui elle rapidement a tissé des liens « vraiment magiques ». Les deux femmes ont ensemble écrit Tout pour être heureuse.
Tout comme les œuvres picturales de Priscille Deborah, le livre a su toucher les gens au plus profond de leur âme. Après la conférence, plusieurs personnes se sont levées pour témoigner de leurs propres expériences de vies et pour dire à quel point les mots l’histoire de Priscille Deborah les avait rejoints. « C’est vraiment un bel exemple de résilience, » a déclaré une femme du public. « Merci d’avoir partagé [votre expérience], » a ajouté un homme.

Nathalie Lord et moi
Le public, visiblement très ému, ignorait encore que Marilou Brousseau, l’animatrice de la soirée, avait une surprise pour tout le monde : elle avait invité la chanteuse Nathalie Lord. S’accompagnant elle-même à la guitare, Mme Lord a interprété, entre autres, sa composition Tant de printemps, qui rappelle l’importance de « se choisir soi-même » et de cesser d’aller dans une direction qui ne nous convient pas. « C’est mon histoire, mais je pense que c’est celle de beaucoup de gens, » a-t-elle dit avant de commencer à chanter. Je vous laisse donc sur ce refrain :
Il t’a fallu
Tant de printemps
Pour ne plus aller
Contre le vent
Et te laisser bercer
Par la vague
Qui te ramène
Vers le rivage
Tant de printemps, Nathalie Lord