AVERTISSEMENT : Cet article contient des extraits du roman Le fils du Singe de Charles Prémont et en révèle certains éléments d’intrigue.
Quand je repense à un récit dont j’ai fait la lecture il y a un certain temps, je me souviens de certaines scènes, mais pas des transitions entre elles, ce mortier qui, d’un personnage à l’autre, d’un moment à l’autre, d’un lieu à l’autre, permet à la lecture d’être fluide, au récit de se déverser en un flot continu. J’ai donc décidé de lire dix longs récits appartenant à différents genres littéraires pour observer comment, dans chacun, sont traîtés les changements de personnage, de temps et de lieu.
J’ai choisi de commencer par un récit assez linéaire : le roman fantastique jeunesse Le fils du Singe, de Charles Prémont. Premier tome d’une trilogie, ce roman raconte l’histoire d’un orphelin de quinze ans, Iv-han, qui a grandi dans un temple consacré à l’étude de l’Art du Singe, à la fois un art martial et une philosophie. Suite à une altercation avec un autre adolescent, Iv-han est puni par un exil de six mois. Il rejoint donc un monastère, apprend à travailler dans une rizière et découvre l’amour, mais une guerre se déclenche, mettant en péril sa destinée.
D’un personnage à l’autre
La majeure partie du roman suit les aventures de Iv-han, mais certaines scènes sont centrées sur d’autres personnages, comme Homaer, seigneur avide de conquêtes, ou Ïo-tan, amie d’Iv-han et disciple de l’Art du Singe. Les changements de personnages au sein d’une scène se font simplement en commençant un nouveau paragraphe par le nom du personnage dont on commence à suivre les aventures. Ce procédé est surtout utilisé pour les scènes de combat, où l’on suit tour à tour les différents personnages.
Lorsque le changement de personnage est aussi un changement de temps et/ou de lieu, le paragraphe est précédé par un ornement typographique, sauf lorsqu’il s’agit du début d’un nouveau chapitre.
D’un moment à l’autre
L’histoire est assez linéaire. L’avancée du temps entre deux scènes est simplement indiquée au début d’une nouvelle scène. Lorsque la scène en suit directement une autre, il n’y a pas d’espace ou d’ornement typographique entre les deux paragraphes. Observons un premier example :
Maître Ko-Hany referma le livre. Tant de fois il avait médité ces paroles. Il allongea le bras et lâcha l’ouvrage qui, après une chute de quelques centimètres, se mit à flotter pour aller retrouver sa place habituelle. Le regard de maître Ko-Hany s’accrocha un instant à ce merveilleux phénomène. Car chaque chose avait sa place ici-bas, l’Un ayant construit l’Univres en parfaite connaissance de cette harmonie qui tient tout en son lieu. Il leva les yeux au ciel pour rendre grâce à cette sagesse infinie qui régissait les mécanismes infaillibles de la réalité.
Maître Ko-Hany serait demeuré un instant de plus à méditer, n’eût été la cloche de midi qui se mit à retentir au loin. Il se leva, sortit de la pièce et alla rejoindre le cortège des moines qui s’agglutinaient déjà dans le corridor menant au réfectoire du Temple du Singe. […]
Le fils du Singe, pages 11 et 12. (PRÉMONT, Charles. Le fils du Singe. 2011. Montréal : Les éditions de la courte échelle inc., 205 pages. Pour la suite de cet article, les lettres FS feront référence à cet ouvrage.)
La cloche, en plus d’indiquer l’heure, déclenche le changement de scène en informant le personnage de Ko-Hany qu’il est temps d’aller rejoindre les autres moines au réfectoire. Comme les deux scènes impliquent le même personnage et se déroulent immédiatement une après l’autre, aucun ornement typographique n’est utilisé. Observons maintenant quelques autres exemples :
Cela faisait déjà quelques semaines qu’Iv-han travaillait dans les rizières. […]
FS, page 50.
Ce jour-là, Joyün et Kayo se trouvaient sur le pont de La Valseuse des ombres […]
FS, page 76.
Le lendemain, lorsque le soleil se leva au-dessus des murs de Loliem, il ne restait plus que quelques ruines enfumées.
FS, page 77.
Lorsqu’il y a un saut dans le temps, un ornement typographique précède le nouveau paragraphe, marquant la transition, de la même manière que lorsqu’on passe d’un personnage à l’autre. Bien que l’histoire a une structure essentiellement linéaire, elle contient quelques retours dans le passé. Observons comment l’un d’eux est intégré au texte.
Une nouvelle fois, une clameur explosa dans la masse des soldats. Ils scandaient le nom de leur seigneur comme un mantra protecteur. « Ho-ma-er! Ho-ma-er! Ho-ma-er! » Lorsque celui-ci […] les salua avec Tamashi, sa grande épée, leur vacarme atteignit son paroxysme. Son fil était si fin qu’on le perdait de vue quand on mettait l’épée à angle droit devant un de ses yeux. On racontait qu’elle était si effilée qu’elle pouvait sectionner les membres d’un homme comme s’ils étaient de beurre, qu’elle traversait avec aise la plus robuste des armures, et que même les pierres fendaient sous son tranchant.
Elle avait été forgée dans la grotte du Saher-dui, le grand volcan de l’île de Saï, par le grand Tusimer. On disait que Tusimer avait un jour reçu la visite d’un vieil homme. [S’ensuit l’histoire de comment Tusimer devaint forgeron et forgea son chef-d’œuvre, l’épée Tamashi.]
[…] Tusimer regarda son maître. Celui-ci pleurait. […] Il s’agenouilla devant son élève et lui embrassa les pieds. Tusimer était désormais le meilleur forgeron du monde.
Ainsi allait la légende.
Homaer donna ses ordres, sépara ses troupes. [Le récit revient à la préparation de la bataille.]
FS, pages 89 à 93.
Ce retour dans le passé débute par la phrase « On disait que Tusimer avait un jour reçu la visite d’un vieil homme. »(FS, page 89.) et se termine par « Ainsi allait la légende. »(FS, page 93.) Cela permet de le séparer clairement du reste du récit.
D’un lieu à l’autre
Aucun personnage ne possédant le don d’ubiquité, le passage d’un lieu à l’autre implique un changement de personnage et/ou de temps, donc je ne m’attarderai pas là-dessus.
Le fils du Singe a une structure plutôt simple, linéaire. Au cours des prochains mois, j’aborderai des récits plus complexes. Au plaisir de vous retrouver!