Pour ma neuvième journée d’écriture, je suis une fois de plus partie marcher. Je suis allée à la bibliothèque Langelier à pied pour participer au deuxième atelier donné par Joël Casséus dans le cadre de sa résidence littéraire. Je suis passée par le parc Maisonneuve, où j’ai dîné, écrit une scène de 348 mots pour mon roman et poursuivi ma lecture de Tandis que j’agonise de William Faulkner.
Pendant l’atelier, dont le thème était cette semaine Le propre de l’écriture, nous avons discuté de ce qui différencie l’écriture littéraire de l’écriture journalistique ou ethnographique. Nous avons ensuite observé comment William Faulkner mêle description, dialogue, flux de conscience, retours dans le passés, etc, dans l’espace de quelques lignes. En voici un exemple dont nous avons parlé, mais tout d’abord, je résume l’histoire pour vous aider à suivre : l’action se déroule au Mississippi, en milieu rural, dans les années 1920 (environ). Addie Bundren, sachant qu’elle va mourir, fait promettre à son mari Anse Bundren de l’enterrer là où reposent ses parents, à plus de 40 miles (64 km) de la ferme Bundren. Lorsque Addie meurt, ses enfants, quatre garçons (Cash, Darl, Jewel et Vardaman) et une fille (Dewey Dell), ainsi que son mari Anse, chargent son cercueil sur une charrette et se mettent en route, mais de nombreux obstacles se dressent sur leur chemin alors que leur cellule familiale part à la dérive. Voici donc l’exemple promis (j’ai numéroté les paragraphes pour qu’il soit plus facile d’y référer ensuite) :
DEWEY DELL [ce titre annonce que Dewey Dell sera le personnage focal du chapitre]
[1] Le poteau indicateur apparaît. Il regarde la route maintenant parce que l’attente est possible. New Hope 3 miles. Il dira New Hope 3 miles. New Hope 3 miles, et alors la route commencera, tournant parmi les arbres, vide d’attente, disant New Hope 3 miles.
[2] Il paraît que ma mère est morte. Je voudrais bien avoir le temps de la laisser mourir. Je voudrais avoir le temps de le vouloir. C’est parce que dans la terre sauvage et violée trop tôt trop tôt trop tôt. Ce n’est pas que je ne voudrais pas, que je ne peux pas, mais c’est trop tôt trop tôt trop tôt.
[3] Voilà qu’il commence à le dire. New Hope 3 miles. New Hope 3 miles. C’est ce qu’on veut dire quand on parle du sein du temps : la douleur et le désespoir des os qui s’ouvrent, la dure gaine qui enserre les entrailles violées des événements Cash tourne lentement, la tête quand nous approchons ; sa figure pâle, vide triste, recueillie, inquisitrice, suit la courbe rouge et vide. Près de la roue arrière, Jewel, à cheval, regarde droit devant lui.
[4] La campagne coule des yeux de Darl. Ils errent pour fixer certains points. Ils commencent par mes pieds, montent le long de mon corps jusqu’à ma figure, et alors, ma robe a disparu. Je suis assise nue sur le siège, au-dessus des mules lentes, au-dessus du travail. Si je lui disais de tourner? Il fera ce que je voudrai. Vous savez bien qu’il fera ce que je voudrai. Un jour je me suis réveillée sentant un grand vide noir filer sous moi. Je ne pouvais pas voir. J’ai vu Vardaman se lever, aller à la fenêtre et planter le couteau dans le poisson. Le sang giclait, sifflant comme de la vapeur, mais je n’ai pas pu voir. Il fera ce que je lui dirai. Il le fait toujours. Je peux lui persuader de faire n’importe quoi. Vous le savez bien. Si je lui disais : tourne ici. C’est alors que je suis morte. Si je le faisais? Nous irions à New Hope. Nous n’aurions pas à aller à la ville. Je me suis levée et j’ai arraché le couteau du poisson tout ruisselant et qui sifflait encore et j’ai tué Darl.
[5] À l’époque où je dormais avec Vardaman une nuit j’ai eu un cauchemar j’ai rêvé que j’étais réveillée mais je ne pouvais pas voir et je ne pouvais pas sentir je ne pouvais pas sentir le lit sous moi et je ne pouvais pas penser qui j’étais je ne pouvais pas penser mon nom je ne pouvais même pas penser que j’étais une fille je ne pouvais pas penser que j’étais même pas penser je veux me réveiller ni me rappeler ce qui est le contraire de se réveiller afin de pouvoir le faire je savais qu’il se passait quelque chose mais je ne pouvais même pas penser au temps et puis tout à coup j’ai compris qu’il y avait quelque chose c’était le vent qui soufflait sur moi c’était comme si le vent était venu me ressouffler de là où il était et où je n’étais pas soufflant par la chambre et Vardaman endormi et tous les autres de nouveau sous moi et passant comme un morceau de soie douce frôlant mes jambes nues.
[6] En souffles frais il sort des pins, et gémit triste et continu New Hope. C’était 3 miles. C’était 3 miles. Je crois en Dieu je crois en Dieu.
[7] « Pourquoi que nous n’sommes pas allés à New Hope, papa? dit Vardaman. Mr. Samson a dit qu’on y allait, mais nous avons dépassé la route. » […]
(FAULKNER, William. Tandis que j’agonise, traduit de l’américain par Maurice Edgar Coindreau. 1930 ; 1934 pour la traduction. Paris : Gallimard, collection « Folio » no. 307, 254 pages, pages 116 et 117)
Ainis on a droit des phrases descriptives,
Près de la roue arrière, Jewel, à cheval, regarde droit devant lui. (paragraphe 3)
du dialogue,
« Pourquoi que nous n’sommes pas allés à New Hope, papa? dit Vardaman. Mr. Samson a dit qu’on y allait, mais nous avons dépassé la route. » (paragraphe 7)
une scène fantasmée,
Je me suis levée et j’ai arraché le couteau du poisson tout ruisselant et qui sifflait encore et j’ai tué Darl. (paragraphe 4)
des retours dans le passé
À l’époque où je dormais avec Vardaman une nuit j’ai eu un cauchemar […] (paragraphe 5)
et même un flux de conscience!
À l’époque où je dormais avec Vardaman une nuit j’ai eu un cauchemar j’ai rêvé que j’étais réveillée mais je ne pouvais pas voir et je ne pouvais pas sentir je ne pouvais pas sentir le lit sous moi et je ne pouvais pas penser qui j’étais je ne pouvais pas penser mon nom je ne pouvais même pas penser que j’étais une fille je ne pouvais pas penser que j’étais […] (paragraphe 5)
Je vais essayer de prêter plus d’attention cette semaine à l’architecture de mes scènes. En attendant, il faudrait bien que je termine ce bilan! Donc : après l’atelier, je suis rentrée en passant par le parc Maisonneuve, où j’ai écrit une courte scène pour mon roman en plus de noter de multiples idées pour d’autres scènes.
Je rejoindrai Joël Casséus à la bibliothèque Langelier demain. En effet, je lui ai donné à lire, la semaine dernière, trois scènes que je venais d’écrire pour mon roman. Il pourra sans doute m’aider à trouver des pistes pour les retravailler.
Puisque je passerai ainsi deux après-midi consécutifs hors de chez moi, je vais faire exception à la règle que j’ai établie plus tôt et utiliser Internet demain matin car j’ai plusieurs démarches à faire auprès de mes assurances, mon employeur, etc. Cela me donnera également l’occasion de mettre à jour mon calendrier littéraire montréalais de septembre pour y inclure des événements qui viennent tout juste d’être annoncés.