Bibliothèque d’incipits : C et D

EtrangerCamusJe poursuis ma petite « Bibliothèque d’incipits » amorcée ici. J’en suis à la lettre C (dans l’ordre alphabétique des patronymes des auteurs).

« Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : “ Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. ” Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. » (L’étranger, Albert Camus, 1942)

L’impression d’avoir un personnage qui n’accorde aucune valeur émotionnelle à la mort de sa mère est très puissante. Elle choque et intrigue tout à la fois. De plus, ce premier paragraphe du roman présente le narrateur, ce narrateur qui semble spectateur plutôt qu’acteur de sa propre vie.

« Ma mère ne m’avait pas dit qu’ils allaient venir : elle ne voulait pas que j’aie l’air inquiet, m’expliqua-t-elle plus tard. Cela m’étonna, moi qui croyais qu’elle me connaissait bien. Au regard des personnes étrangères, je paraissais calme. Enfant, je ne pleurais pas. Seule ma mère remarquait la façon dont j’écarquillais des yeux déjà grands.
« J’étais à la cuisine en train de hacher des légumes quand j’entendis des voix provenant de l’entrée, la voix d’une femme, aussi étincelante que cuivre bien astiqué, et celle d’un homme, aussi dense et sombre que le bois de la table sur laquelle je travaillais. C’était là des voix comme nous n’en entendions pas souvent chez nous. Des voix rappelant de somptueux tapis, des livres, des perles, des fourrures.
« Heureusement que je m’étais donné tant de mal pour nettoyer l’entrée ! » (La jeune fille à la perle, Tracy Chevalier, 1999, traduction Marie-Odile Fortier-Masek 2000)

J’ai choisi cet incipit car j’adore l’association qui est faite entre les voix et les matériaux.

« Il n’était que 5 heures, en ce petit matin d’hiver syrien. Le train auquel guide et horaires donnent le nom ronflant de Taurus-Express attendait le départ en gare d’Alep. La rame ne comportait, en tout et pour tout, qu’un wagon-restaurant, un wagon-lit, et deux voitures des réseaux de la région. » (Le crime de l’Orient-Express, Agatha Christie, 1933, traduction Jean-Marc Mendel 1992)

À la lecture de ces lignes, on ne sait pas encore s’il s’agit d’un roman policier ou si les indications précises sont données par simple souci de réalisme (sauf si on connaît le titre ou l’auteure du roman, bien sûr).

Une petite anecdote me vient à l’esprit. J’aime beaucoup relire le premier chapitre d’un roman juste après avoir terminé le dernier. En effet, quand je lis pour la première fois le début d’un roman, je ne sais pas à quoi m’attendre, tandis que quand j’ai lu le roman entier, je peux en profiter d’une manière différente car je suis en mesure de mieux l’analyser. Ainsi, depuis mon adolescence, je lis toujours le premier chapitre d’un roman après avoir terminé le dernier. Un jour, comme j’expliquais à une amie que j’avais cette habitude, elle me raconta qu’elle-même avait pour coutume de lire la dernière page d’un roman avant de commencer le roman. Une fois, elle a lu Dix petits nègres d’Agatha Christie. Le roman se termine par une confession écrite de l’assassin… signée, bien sûr.

« Comment s’étaient-ils rencontrés ? Par hasard, comme tout le monde. Comment s’appelaient-ils ? Que vous importe ? D’où venaient-ils ? Du lieu le plus prochain. Où allaient-ils ? Est-ce que l’on sait où l’on va ? Que disaient-ils ? Le maître ne disait rien ; et Jacques disait que son capitaine disait que tout ce qui nous arrive de bien et de mal ici-bas était écrit là-haut. » (Jacques le Fataliste et son maître, Denis Diderot, 1796)

Ici, l’auteur déjoue nos attentes de lecteur par rapport à un incipit en refusant de répondre à une série de questions représentant des éléments que l’on retrouve habituellement dans un incipit : une indication de lieu, les noms des personnages, l’origine de leur relation… La répétition du verbe dire ajoute une dimension comique à la dernière phrase.

Je vous laisse pour m’atteler plus sérieusement à mon ménage. En attendant la suite, chers lecteurs, pourquoi ne pas partager les premières phrases de vos romans préférés? Les commentaires sont là pour ça!

À propos de emerancega

J'ai 25 ans, une collection de cubes Rubik et un amour inconditionnel pour la littérature.
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