Située au 2884 rue Masson à Montréal, la Librairie du Vieux Bouc (jeu de mots sur le mot anglais « book » signifiant « livre ») achète et vend depuis 2009 des livres usagés. À l’intérieur, Ruth Stewart, la propriétaire, accueille les clients avec un grand sourire. Je l’ai rencontrée mardi le 9 septembre.
Ruth Stewart est tombée dans la lecture quand elle était petite. Elle raconte que sa mère lisait pendant sa grossesse. Dès l’enfance, la jeune Ruth a commencé à lire des bandes dessinées. Par la suite, elle n’a jamais cessé de lire. « Au secondaire, le vendredi, je partais avec quatre livres de bibliothèque, puis le lundi matin ils étaient lus, » se souvient-elle, ajoutant que ses parents devaient l’obliger à interrompre sa lecture pour manger et dormir.
Enfant, elle voulait écrire ou être vétérinaire, mais elle a laissé tombé la seconde idée quand elle a réalisé que la pratique de l’euthanasie est une partie importante de cette profession. Elle a obtenu un DEC en cinéma puis s’est inscrite au baccalauréat en production avant de bifurquer vers l’art dramatique dans l’idée de devenir metteure en scène. Après la complétion de son baccalauréat, elle n’a travaillé qu’un an dans le domaine du théâtre. En effet, elle ne se reconnaissait pas dans ce milieu où souvent, selon elle, le paraître prend souvent plus d’importance que le fond. Elle a laissé tombé la mise en scène, gagnant sa vie en travaillant au casino, avant d’ouvrir en 2009 sa propre librairie. Elle n’a pas pour autant abandonné son rêve d’écrire, composant souvent pour elle-même des poèmes et des nouvelles. Elle aime les formes courtes et le fignolage qu’elles impliquent.
Ayant travaillé comme gérante de librairie pendant ses études, Ruth Stewart est bien placée pour expliquer comment le métier a changé avec les années. Depuis 2009, elle utilise une base de données informatisée qui facilite la gestion de l’inventaire de la librairie. Elle se sert aussi d’Internet pour aider des clients à chercher des livres dont ils ne se souviennent plus de l’auteur ou du titre. La libraire remarque qu’avec l’arrivée du livre électronique, certains ouvrages, comme les beaux livres sur l’art ou sur les châteaux, se vendent moins bien. « Les gens recherchent des choses qu’ils ne trouvent pas sur Internet, » explique-t-elle.
Présentement, la bande dessinée québécoise et la littérature jeunesse se vendent très bien. Comme souvent l’été, Ruth Stewart constate des vagues d’intérêt pour les polars. Ainsi, ces sections de la librairie roulent beaucoup. Mme Stewart explique qu’elle essaie aussi de garnir sa section de poésie québécoise, accordant une grande importance à la diffusion des œuvres d’auteurs moins connus.
Bien sûr, si les désir de la clientèle et les interactions avec celle-ci sont en perpétuel changement, certaines choses ne changeront jamais. Mettre des prix et placer les livres, puis mettre des prix et placer les livres, puis mettre des prix et placer les livres est un cycle infini que Ruth Stewart compare au mythe de Sisyphe. Elle affirme qu’il faut être passionné de son travail pour être propriétaire d’une librairie, d’autant plus que ce n’est pas très lucratif. Elle admet que la comptabilité reste toutefois une corvée pour elle.
Bien entendu, dès qu’elle le peut (en dînant ou en prenant le métro, par exemple), la libraire plonge dans un livre. Son nouveau dada : les livres de cuisine. Elle en garde un comme livre de chevet et s’en sert pour apprendre de nouvelles recettes. Côté fiction, elle conserve un excellent souvenir de Train de nuit pour Lisbonne, un roman très lent et introspectif de Pascal Mercier. Elle apprécie aussi beaucoup la plume de Laurent Gaudé, dont elle vante le pouvoir d’évocation, et de Christian Bobin, dont elle décrit les œuvres non pas comme de la fiction, mais comme de la « lumière ». Son projet de retraite : lire la pile de quatre-vingt volumes qui s’est accumulée dans son appartement, incluant l’intégralité de l’œuvre de Yourcenar. Elle a envie de lire tout en bloc, pour y plonger tout entière.
La librairie du Vieux Bouc est ouverte tous les jours et achète des livres usagés pendant la première semaine de chaque mois. Si vous vivez à Montréal, je vous encourage à aller y rencontrer la sympathique Ruth Stewart. En attendant, si ce n’est déjà fait, je vous invite à découvrir un autre libraire, le chaleureux Sébastien Charron, qui m’a accordé une entrevue plus tôt cette semaine.