À quoi sert la préface d’un roman? Les réponses sont multiples. Une préface peut servir à recommander la lecture de l’ouvrage qu’elle accompagne, vantant ses mérites ou ceux de son auteur, à offrir aux lecteurs des informations favorisant une lecture plus éclairée de l’œuvre, leur conseillant parfois une manière particulière d’aborder le texte, ou bien à faciliter la transition entre le monde réel et l’univers de fiction du roman. Bien sûr, ces fonctions de la préface peuvent être combinées, et accomplies de différentes manières.
Un outil pour convaincre

La bande annonce du long métrage d’animation Avril et le monde truqué, vantant les mérites de ses producteurs exécutifs
À la manière d’une bande-annonce, la préface est souvent utilisée pour vanter les mérites de l’œuvre qu’elle accompagne, ou ceux de son auteur(e). Le lecteur ou la lectrice potentiel(le), parcourant les rayons d’une librairie ou d’une bibliothèque à la recherche d’un nouveau roman à découvrir sera naturellement amené(e) à lire la quatrième de couverture ainsi que la préface des livres susceptibles de l’intéresser. Observez ce premier exemple :
Lorsque mon vieil ami Théodore Monod, que tout le monde a vu au petit écran traversant le désert (à quatre-vingt-sept ans), géologue, zoologue, ichtyologiste, ethnologue, que sais-je encore, membre de l’Institut, bref, quand cet homme de science impossible, m’ayant mis ce livre dans les mains et voulant m’en citer des passages, ne put y parvenir tant il s’étranglait de rire, je regardai, inquiet, ce visage qu’il a austère, même ascétique et me demandai si…
Mais non. Il avait toute sa raison. Du reste, il se reprit bientôt pour me dire : « Je ris, et tu riras, c’est le livre le plus drôle de toutes ces années, mais ce n’en est pas moins l’ouvrage le plus documenté sur l’homme à ses origines. […] Un maître livre. Tu dois le lire. »
Il dit, je fis que qu’il me demandais, et m’étranglai de rire autant que lui. À l’étonnement de mon épouse, qui ne m’avais plus vu rire à ce point depuis les temps lointains de Charlot et de Buster Keaton. […]
(Vercors, dans sa préface à Pourquoi j’ai mangé mon père – Lewis, Roy. Pourquoi j’ai mangé mon père. Traduit de l’anglais par Vercors et Rita Barisse. Titre original : The Evolution Man. 1990. Pocket. Paris. 182 pages. Page 7.)
Le préfacier, ici le traducteur, raconte comment un ami l’a convaincu de lire le roman, afin de convaincre à son tour les lecteurs potentiels. Avant de décrire l’œuvre, il décrit d’abord l’hilarité qu’elle provoque chez ceux qui lui accordent leur attention. Il se sert d’une anecdote de sa propre vie pour mettre en relief le comique et l’intelligence de Pourquoi j’ai mangé mon père. Le message est simple : lisez ce livre, vous allez rire.
Une mise en contexte
Pour classiques de la littérature, il n’est pas nécessaire de convaincre le lecteur ou la lectrice : la réputation du roman et de l’auteur(e) sont déjà faites. C’est pourquoi, souvent, la préface est plutôt utilisée pour fournir un contexte à l’œuvre. Prenez, par exemple, la préface de Jacques Noiray aux Illusions perdues : il situe le roman en relation avec les autres écrits de Balzac.
Il existe, dans La comédie humaine, plusieurs périodes qui correspondent aux trois décennies sur lesques se sont étendues l’invention et la création balzaciennes. Il y a les romans qui se passent en 1820 comme Le père Goriot ou Eugénie Grandet, les romans de 1830 comme Béatrix ou La Muse du département, les romans de 1840 comme La Cousine Bette. Illusions perdues appartient à la première catégorie, la plus nombreuse, celle des œuvres où sont décrites, dans les premières années de la Restauration, les modifications sociales et morales qui ont accompagné la chute de l’Empire et le rétablissement des Bourbons. […]
(Jacques Noiray, dans sa préface aux Illusions Perdues – Balzac, Honoré. Illusions perdues. 2013. Gallimard, collection «Folio classique». 956 pages. Page 9.)
Or, si la préface peut-être utilisée pour mettre en contexte l’œuvre elle-même, elle peut également servir à présenter l’édition spécifique qu’elle accompagne. Ainsi, dans la préface d’Yvon Belaval à son édition annotée de Jacques le Fataliste et son maître, il déclare son intention de «faire sentir la structure» du roman à ses lecteurs :
Jacques, cette œuvre singulière […], a provoqué les opinions les plus diverses et les plus contrastées : du «livre ordurier» au «chef-d’œuvre». On critique son décousu ; nous avons tenté d’en faire sentir la structure. […]
(Yvon Belaval, dans sa préface à Jacques le Fataliste et son maître – Diderot, Denis. Jacques le Fataliste et son maître. 1973. Gallimard, collection «Folio classique». 404 pages. Page 35.)
Parfois, la préface peut même offrir un coup d’œil sur la genèse même du roman qu’elle précède, comme ici, où Dany Laferrière présente lui-même son roman L’odeur du café :
Je fuyais l’hiver montréalais en remontant le cours de ma mémoire jusqu’à la source chaude de mon enfance. Je quittais aussi le bruit et la fureur que génèrent les métropoles nord-américaines pour me réfugier, au pied de ma grand-mère, sur cette petite galerie de Petit-Goâve. Comme il m’était difficile, à l’époque, de songer à vivre en Haïti avec ma famille, je me suis arrêté à Miami. On a trouvé une maison, dans un quartier tranquille de la ville, devant laquelle j’ai tout de suite planté un bougainvillier. Puis j’ai posé ma machine à écrire en face de la fenêtre qui donne sur la cour. Je n’avais qu’à allonger le bras pour caresser les feuilles de l’arbre qui se trouvait dans l’embrasure de ma fenêtre et dont le vent dans les feuilles faisait une musique qui me berçait à l’heure de la sieste. C’est dans un pareil moment que surgit le visage à la fois doux et ridé de ma grand-mère qui me souriait et, tout à coup, un grand soleil illumina la pièce. C’est pour la garder plus longtemps avec moi que je me suis mis à écrire L’odeur du café. […]
(Dany Laferrière, dans sa préface à L’odeur du café – Laferrière, Dany. L’odeur du café. 1991. Éditions Typo, collection «Typo Roman». 227 pages. Page 9.)
Un guide
En fournissant un contexte, la préface propose au lecteur ou à la lectrice une façon plus éclairée d’aborder l’œuvre, lui offrant tantôt une interprétation détaillée de l’intention de l’auteur(e) et des thèmes de l’histoire, tantôt une simple piste l’encourageant à former sa propre interprétation. Ainsi, la préface d’une édition abrégée de Brave New World se termine par cette question :
Should we look forward to a »brave new world »? Or should we fear it?
(Traduction approximative : Devrions-nous nous réjouir de l’avènement d’un «brave nouveau monde»? Ou devrions nous le craindre?)
(Introduction – Huxley, Aldous. Brave New World. Adapté par H.A. Cartledge. 1999. Penguin Books Ltd, Essex. Collection «Penguin Readers». 119 pages. Page vii.)
Un pont entre réalité et fiction
La préface, et surtout la préface autoriale (rédigée par l’auteur(e) du roman), peut également être utilisée pour faciliter le passage du monde réel au monde fictif. Prenez celle-ci, par exemple :
Les livres s’écrivent tellement vite […] de nos jours, sans compter qu’ils sont imprimés en Syrie et qu’il peut arriver, même avec les meilleures intentions du monde de tous les yeux de lynx de toutes nos correctrices, qu’il manque une ligne ou deux, qu’il y ait quelques coquilles ou quelques lettres absentes ou inversées. Or donc, voici, pour que ce livre soit absolument impeccable :
— quelques , , : ; , , , et . . . aussi … ,
— quelques s s s s s s (il en manque généralement plusieurs) quelques espaces aussi et un autre
— sans compter quatre ‘ ‘ ‘ ‘
— et deux ou trois !! et un ?
— et aussi quelques accords, car avouons-le humblement, je ne maîtrise pas parfaitement la langue française : es, ü, et és, ées, is.
— ah oui, j’ai aussi éliminé quelques mots trop difficiles afin que vous n’ayez pas trop souvent recours au dictionnaire : acabit, cacochyme, ganache […] et j’en passe et des plus difficiles. Être écrivain, ce n’est pas toujours aisé ; il faut faire simple sans être simpliste et compliqué sans être complexe.
Finalement, avec la crise économique qui sévit depuis plus de cinquante ans (si on lit les journaux), je dois vous prévenir ici qu’il s’agit d’un roman à petit budget, donc : pas d’explosion d’avoin ou d’hélicoptère, pas de missiles, pas de mitraillettes ni de bazooka ni de rayon laser. On ne verra également que peu de figurants, pas de châteaux à couper le souffle ni de banquets et le costume de ville est de rigueur.
Je pense que ce sera tout.
Bonne lecture quand même.
Bon, enfin, ça va commencer.
(Soulières, Robert. Un cadavre de classe. Soulières Éditeur, collection «Graffiti.» Saint-Lambert. 1997. «1000» pages. Pages 9 et 10.)
Ces deux pages ne font pas qu’annoncer un roman plein de jeux de mots et d’humour absurde : étant elles-mêmes pleines de jeux de mots et d’humour absurde, elles mettent déjà le lecteur ou la lectrice dans le bain.
Certains auteurs vont jusqu’à inscrire la préface elle-même dans un contexte de fiction, affirmant avoir rencontré les personnages de leur récit, où attribuant à l’un deux l’écriture de la préface ou du roman. Dans la préface de Calypso, ou Les tourments d’Ulysse, dont vous pouvez lire mon compte rendu ici, Claude Drouin se présente comme l’éditeur du texte, en attribuant la rédaction à l’un de ses personnages récurrents, François Breton.
François a été témoin des événements narrées dans le livre que vous vous apprêtez à lire. Il a aussi rencontré Louis pour connaître le fin mot de l’histoire. À la suite de plusieurs entretiens, il a écrit le texte qu’il m’a récemment proposé de publier. Après l’avoir conservé dix-sept ans dans un classeur!
(Claude Drouin dans sa préface de Calypso, ou Les tourments d’Ulysse – Drouin, Claude. Calypso, ou Les tourments d’Ulysse. Claude Drouin Éditeur, 2014. 46 pages. La préface n’est pas paginée.)
Si vous avez aimé cet article, rejoignez-moi la semaine prochaine pour examiner la préface de La Cagliostro se venge, préface signée par nul autre qu’Arsène Lupin!
Merci pour cet article
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