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Pour commémorer la Journée internationale des écrivains emprisonnés, qui a lieu le 15 novembre de chaque année, Amnistie internationale, le Centre québécois du P.E.N. (Poets, Essayists, Novelists) international et l’Union des écrivaines et des écrivains québécois se sont de nouveau unis pour la quinzième édition de Livres comme l’air. Dans le cadre de ce projet, dix écrivains québécois ont été jumelés à des écrivains étrangers incarcérés ou persécutés par leurs gouvernements en raison de leur écrits. Chacun des écrivain québécois a dédicacé un de ses livres qui a été envoyé à l’écrivain étranger lui étant jumelé. Les dédicaces ont également été lues en public le vendredi 21 novembre au cours d’une soirée animée par Stéphane Dompierre.
J’ai eu la chance, mercredi dernier, de visiter le kiosque d’exposition de Livres comme l’air au Salon du livre de Montréal. Chaque écrivain étranger y avait sa chaise, accompagnée d’une pétition demandant sa libération et/ou l’abandon des charges pesant sur lui ou elle. Dans le cas de Jihad Asad Mohamed, porté disparu, la pétition demandait également que des recherches soient entreprises pour le retrouver.
Au dessus des chaises étaient affichées les biographies des auteurs jumelés ainsi que les dédicaces des auteurs québécois aux auteurs étrangers. On peut retrouver l’ensemble de ces biographies et dédicaces sur le site Internet de l’événement. Petit tour d’horizon des jumelages :
Native du Caire, en Égypte, la poète Nora Atalla a grandi à Montréal. Elle vit toujours au Québec, mais elle part souvent en voyage à l’étranger et s’implique à l’international dans le domaine de la poésie. Elle est jumelée à l’écrivain et journaliste Dawit Isaak. En 2001, Isaak a été arrêté à Samara en Érythrée, son pays d’origine, en même temps que dix autres journalistes, dont sept sont décédés en prison. Ce n’est malheureusement pas étonnant lorsqu’on sait que l’Érythrée occupe, pour la septième année consécutive, le dernier rang au classement mondial de la liberté de presse établi par Reporters sans frontières.
Roumaine d’origine, la poète et traductrice Oana Avasilichioaei vit au Québec depuis 1999. Elle participe souvent à des lectures publiques, conférences, performances et festivals au Québec et à l’étranger. Elle est jumelée au journaliste Ayyad al-Harbi, condamné en 2013 à deux ans de prison au Koweït pour avoir critiqué la famille royale sur Twitter. La peine d’al-Harbi ayant débuté en janvier 2013, on peut espérer sa libération prochaine, mais peut-on réellement parler de liberté dans un pays dont les journalistes et blogueurs doivent s’abstenir de critiquer le pouvoir en place?

Crédit photo : Aapo Haapanen
Écrivain, philosophe et intervenant social, Jean Bédard s’intéresse depuis longtemps aux grands problèmes sociaux. Pour Livres comme l’air, il est jumelé à l’éminent défenseur des droits humains Mukhlif Al-Shammari. Journaliste en Arabie Saoudite, Al-Shammari avait déjà été arrêté à plusieurs reprises pour ses articles. C’est une vidéo diffusée sur YouTube et dans laquelle deux femmes témoignaient des mauvais traitements dont elles avaient été victimes, qui lui a valu, en juin 2013, une peine de prison de cinq ans.
Le dramaturge québécois Michel Marc Bouchard a grandi sur une ferme au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Depuis 1988, son théâtre lui a valu quantité de distinctions, dont le titre d’Officier de l’Ordre du Canada en 2005 puis de Chevalier de l’Ordre national du Québec en 2012. Invité d’honneur du Salon du livre de Montréal, il agit comme porte-parole de Livres comme l’air pour la durée du Salon, comme il l’explique dans cette courte vidéo. Michel Marc Bouchard est jumelé au journaliste syrien Jihad Asad Mohamed. Suite à sa disparition le 10 août 2013, il a été avancé que Jihad Asad Mohamed avait été arrêté en raison de ses propos en faveur d’une réforme gouvernementale. Le gouvernement syrien n’a jamais confirmé cette théorie et le journaliste n’a jamais été aperçu depuis.
Chanteur, guitariste, écrivain et travailleur social, Richard Dallaire travaille présentement dans le domaine de l’alphabétisation. Il est jumelé à Raif Badawi, le fondateur du site Internet Free Saudi Liberals. Incarcéré en Arabie Saoudite depuis 2012, le blogueur a été jugé de nouveau et a reçu en septembre dernier une sentence de 10 ans de prison et de 1 000 coups de fouets ainsi qu’une amende d’un million de riyals saoudiens, soit l’équivalent de près de 290 000$ canadiens. Sa conjointe, réfugiée à Sherbrooke avec ses enfants, ainsi qu’Amnistie internationale, demandent sa libération inconditionnelle. Si vous n’avez pas eu la chance de signer la pétition au Salon du livre, vous pouvez apporter votre support en la signant en ligne.
Fondateur de La courte échelle, Bertrand Gauthier est l’auteur de nombreux romans pour la jeunesse, dont la série Ani Croche. Il est jumelé au pianiste et compositeur de renom Fazil Say. Arrêté par le gouvernement turc après avoir publié sur Twitter des micromessages jugés insultants envers la religion musulmane, Fazil Say est actuellement en période de sursis-mise à l’épreuve, et songe à quitter la Turquie pour éviter un nouvel emprisonnement.
Titulaire d’une maîtrise en science politique, l’écrivaine Pauline Gélinas s’intéresse depuis longtemps au développement international. Sur son site Internet, on peut lire :
«J’ai l’honneur d’être jumelée à la journaliste et auteure hondurienne Dina Meza, militante des droits humains, traquée parce qu’elle ose prendre la parole pour dénoncer les disparitions, l’emprisonnement et la torture de ceux qui contestent les politiques du gouvernement du Honduras.
« Après la lecture de ma dédicace, je parlerai des liens choquants qui lient très étroitement le Canada au Honduras… liens qui me rendent complice des menaces contre Dina Meza.
« Le premier ministre Harper a été un des premiers à accourir au Honduras saluer le nouveau président, après ce que l’Union européenne estimait pourtant être un coup d’État. Le gouvernement Harper s’est vite attablé avec les nouveaux dirigeants de ce pays pour négocier la révision des lois honduriennes afin que les minières canadiennes aient de nouveau les coudées franches pour jouer avec l’environnement… et l’eau potable de milliers d’Honduriens. En plus de l’or hondurien pendant à nos oreilles, nous portons beaucoup le Honduras sur nos épaules… le Canada important de plus en plus de vêtements » made in » Honduras. Dans ce pays, le pourcentage des enfants de 5 à 14 ans qui travaillent est plus élevé qu’en Inde (au prorata de la population)… dixit la C.I.A. C’est tout dire! Mais dans quelle manufacture tous ces enfants travaillent-ils?
« La question n’est peut-être pas tant quelle longueur de doigts tisse ces vêtements? mais bien combien de doigts reste-t-il à la main des Honduriens qui osent dénoncer le travail des » petits doigts » d’enfants. »

Crédit photo : Christian Senger
Linda Leith, romancière, traductrice, propriétaire de Linda Leith Éditions et fondatrice du magazine numérique Salon II, est jumelée au journaliste Kunchok Tsephel Gopey Tsang. Co-fondateur d’un site Internet en langue tibétaine qui fait la promotion de sa littérature et de sa culture, il est incarcéré en Chine depuis 2009 pour une peine de quinze ans. Amnistie internationale rapporte qu’ « aucun avocat n’a été autorisé à l’aider à faire appel » et que « sa famille n’a accès à lui que 30 minutes tous les deux mois; elle le voit derrière une vitre et doit lui parler par interphone en chinois, langue que sa mère ne maîtrise pas. »

Crédit photo : Michael Coghlan
Originaire de Chicoutimi, Larry Tremblay est écrivain, metteur en scène, acteur et spécialiste de kathakali, danse-théâtre qu’il a étudiée en Inde. Il est jumelé à Sardar Alibeyli, rédacteur en chef du journal Nota Bene et du site PS Nota. Son opposition au président actuel de la République d’Azerbaïdjan a valu à Alibeyli plusieurs peines d’emprisonnement. La plus récente date de 2013 et le condamne à quatre ans de prison.
Finalement, la poète, blogueuse et médecin psychiatre Ouanessa Younsi est jumelée à la sociologue et écrivaine Pinar Selek. Militante antimilitariste et féministe engagée, Selek a été accusée d’avoir participé à un supposé attentat à la bombe, plus tard reconnu comme une fuite de gaz. Après de nombreux appels et acquittements, elle a été condamnée en 2013 à l’emprisonnement à vie. Elle a dû fuir son pays d’origine, la Turquie, pour trouver refuge en France.

Anne Sainte-Marie et Giulianna Laurent Caire
10 écrivains québécois, 10 écrivains étrangers, autant de bonnes raison pour visiter, si vous en avez la chance aujourd’hui ou demain, le kiosque d’exposition de Livres comme l’air. Sans compter que les bénévoles et employés d’Amnistie internationale y offrent un accueil fort sympathique.