Walkups

walkups01« Walkups est le mot anglais pour désigner les blocs appartements sans ascenseur, ceux de Montréal en l’occurence, où Blomgren a vécu une dizaine d’années, » indique la quatrième de couverture du recueil de micro-nouvelles Walkups, de Lance Blomgren (BLOMGREN, Lance. Walkups, traduit de l’anglais par Élizabeth Robert et adapté par Danielle Shelton. 2007. Montréal : Éditions Adage Inc. et Bruxelles : Maelström Éditions. 70 pages. Pour la suite de cet article, les lettres WU feront référence à cet ouvrage.)

Ce recueil de micro-nouvelles frappe d’abord par son éclatement. D’un texte à l’autre, on passe de la première personne du singulier à la deuxième, puis à la troisième. La mise en page semble n’obéir à aucune règle précise, plaçant les photographies tantôt à gauche, tantôt à droite des pages, laissant parfois une marge, parfois aucune, présentant quelquefois sur une page un détail, en filigrane, d’une photographie déjà présente plus tôt.

Les procédés narratifs sont variés. On retrouve, par exemple, un texte sous forme d’une succession d’inscriptions que l’on pourrait lire autour et à l’intérieur d’un édifice montréalais : « Nouvelle administration. Peinture fraîche. Téléphone. Renseignements. Attention à la marche. Bac à circulaires. Aucun colporteur. Propriété privée. Défense de fumer. […] » (WU, page 11) ArriereImmeubleQuelques pages plus loin, un autre texte rapporte les paroles d’une personne en train de cuisiner.  « Comme tu peux voir, là, j’ai de la semoule fine et des oignons espagnols. » (WU, page 16)

Ce sont des scènes du quotidien de la vie en ville. Des scènes vécues dans l’escalier d’un édifice à appartements et écoutées à travers une porte de bois. Des scènes banales, bien souvent. Chacune de ces scènes, une micro-nouvelle, est identifiée par une adresse : 4163, rue Saint-Urbain, appartement 1 ; 5170, rue Durocher ; 223, rue Saint-Viateur, appartement 8. On n’effleure la vie de chaque personnage que pour une page ou deux. Certains textes sont bien plus courts, comme ceux-ci :

4163, rue Saint-Urbain, appartement 1
« Je ne peux pas croire que j’ai dit ça », pense-t-il, en fourrant le linge sale dans la laveuse. « C’était tellement stupide. Elle doit me haïr. »
(WU, page 27)

5746, rue Clark
Toi dans tes shorts, c’est l’évidence de la perte tragique de notre pelage. Respiration artificielle sur le balcon, les genoux à l’air.
(WU, page 39)

Ce ne sont que des fragments d’existence, et dès que l’on commence à s’intéresser à un personnage, on doit le quitter. L’un d’entre eux revient, pourtant, un locataire des Apt. d’Amours. Il apporte une forme de fil conducteur au recueil, un fil rongé par un chat d’appartement mais toujours présent.

EscalierNoiretblancLes scènes qui s’enchaînent sont banales, et pourtant, on continue à lire. Dans ce bain de banalité, l’irrationnel et la poésie avancent tranquillement, si lentement qu’on ne s’en rend pas compte. Bientôt, l’envahissement d’un lieu physique par des points d’interrogation semble aussi banal que la poussière dans une cave.

Les photographies en noir et blanc prises par Lance Blomgren et Charles Chalmers contribuent à l’ambiance banale et urbaine du recueil. Elles montrent des portes, des poteaux électriques, des cordes à linge, alors que le texte décrit les sons et images de la ville, parfois jusqu’à une véritable surcharge sensorielle.

1609, rue Saint-Hubert, appartement 5
Les pas du concierge dans la cage d’escalier. À la télévision, une dame sirotant un café commence à prendre forme. Dans le corridor, on débarre une porte. Chez le voisin, on a un ton irrité au téléphone. La dame de la télé sirote sa grande tasse blanche en tournant les pages d’un magazine – elle savoure le moment. Hier, la fenêtre ne voulait pas s’ouvrir, aujourd’hui, la télé ne veut pas se fermer. Il est seulement vingt heures. Ma crème glacée fond sur son bâton. Une bestiole grosse comme un kiwi a réussi à passer au travers la moustiquaire et le détecteur de fumée fait un beep aux deux minutes. Les piles sont mortes. L’eau rushe dans les tuyaux. L’écho des pas du concierge dans la cage d’escalier. La dame de la télévision dépose sa tasse de café et sourit à la ronde. walkups02« Chaque gorgée procure la sensation d’être en vacances. »
(WU, page 24)

En lisant Walkups, j’ai souri à plusieurs reprises, comme en lisant ces deux phrases : « La fille qui fait une maîtrise en biologie n’a plus l’électricité. Trouvant la lumière du jour incongrue, vu la panne, elle a fermé ses rideaux. » (WU, page 22) En lisant Walkups, je me suis aussi reconnue, un peu dans les scènes du quotidien, mais surtout dans l’écriture. Écrire une nouvelle mettant en scène une situation banale dans une ville québécoise et y faire référence à Star Trek : fait! Mettre en scène un personnage qui se peut s’empêcher de compter le temps : fait! Nouveau sourire. Puis, je suis arrivée à ce passage :

Apt. D’Amours          scène 11
Un micro-ondes qui fonctionne la porte ouverte? Je ne l’ai pas cru. « Il suffit d’enfoncer une fourchette ou un couteau dans la clenche. » « Non ! C’est débile ! Trente ou quarante secondes de décongélation et c’est la fièvre instantanée, le délire. » Mais en fin de compte, je l’ai vu. L’ascenseur était hors d’usage et les réparateurs à l’œuvre avaient déplacé la grosse plante en pot de l’étage. En me frayant un chemin jusqu’à l’escalier, je suis passé devant le 104. La porte était ouverte et, instantanément, ils sont tombés en plein dans mon champ de vision : les deux enfants du professeur, debout sur une chaise. Marie-Claude avait la tête dans le four. « Donne-moi-z-en encore trente. » Gus m’a aperçu et m’a salué nerveusement. Je lui ai répondu de même.
(WU, page 48)

CordeALingeJe me suis souvenue de la quatrième de couverture du livre, qui disait qu’« Au début, tout semble à peu près normal, on navigue dans le registre autobiographique, puis on dévie vers l’irrationnel, on frôle la folie. » Je me suis dit que, décidément, ce recueil devenait de plus en plus intéressant à mesure qu’on le lisait.

Le meilleur était encore à lire. Je suis entrée dans une sorte de transe, comme happée par la prose de Lance Blomgren. Je me délectais de chacun des mots apparaissant sur le papier. C’est pour de tels instants que je suis en amour avec la littérature.

À propos de emerancega

J'ai 25 ans, une collection de cubes Rubik et un amour inconditionnel pour la littérature.
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